Histoire des carrières de gypse de l'Hautil

Gorges Beaujard - Daniel Biget « Triel-sur-Seine, son histoire, ses légendes », Editions du Valhermeil.

Avant propos sur la principale industrie de Triel-sur-Seine qui a régné pendant près de deux siècles dans le sous-sol de notre montagne de l'Hautil.

LES CARRIÈRES DE GYPSE ET LEURS PLATRIÈRES

Une étude très approfondie des carrières de gypse qui se sont multipliées sur notre territoire et sur celui de Vaux-sur-Seine, depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, a donné la possibilité de les identifier et de les classer par ordre d'ancienneté.

Avant d'entrer plus en avant dans l'historique de chacune d'elles sachez que vers 1791, date de création de la première carrière de gypse à Triel, tout le travail était fait par la main de l'homme. Nous évoquerons au fur et à mesure de la progression des carrières, le matériel rudimentaire qu'utilisaient nos aïeux et les moyens mécaniques modernes qui le remplacèrent.

Le citoyen BOUTY, créateur de cette première exploitation de la pierre à plâtre, aura servi d'exemple.

La nature de notre sous-sol très riche en gypse, a, dès la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, contribué au développement de cette importante industrie dans notre région.

D'autres exploitants suivirent les traces de leur aîné et à leur tour, ils creusèrent la montagne.

Plusieurs d'entre eux obtinrent des résultats plus que satisfaisants, ce qui permit de procurer du travail à notre main d'œuvre locale. Dès la fin de la Première Guerre mondiale des émigrés polonais et italiens y trouvèrent pour la plupart un emploi.

Depuis 1919, les nouvelles techniques évoluant améliorèrent les conditions de travail et le rendement des carriers. Après les moyens primitifs employés par nos anciens, on utilisa l'explosif.

On forait d'abord la pierre avec une tarière géante manœuvrée à la main : on bourrait ensuite le trou de poudre noire, accompagnée d'une mèche lente. Ainsi après l'explosion, le marteau-piqueur et l'excavatrice permettaient d'effectuer le dégagement des blocs.

Les wagonnets-basculants circulant sur une voie étroite, les tapis-transporteurs, vinrent par la suite moderniser toutes ces installations souterraines.

II est intéressant de savoir que notre colline était encore, il y a quarante ans environ, une véritable « taupinière ». Si tous les souterrains avaient été mis bout à bout, ils représenteraient une longueur de plus de cent kilomètres.

On y circulait très facilement. Chaque galerie portait un nom de rue, chaque carrefour de grande salle avait un nom de place.

Jadis, on s'y éclairait à la lampe à huile, puis, vint la lampe à pétrole et la lampe acétylène. Le casque à piles de mineur fut aussi utilisé par les ouvriers carriers et les derniers connurent l'éclairage électrique.

LA CARRIÈRE « BOUTY », ANCÉTRE DE NOS CARRIÈRES

Comme il a été dit dans notre avant-propos, cette exploitation est sans nul doute la plus ancienne carrière du territoire de Triel.

Sur un plan dressé au cours du XVIIIe siècle par la Société archéologique du Vexin. on distingue très nettement son entrée et les pointillés montrent l'ensemble des galeries fouillées polir l'extraction du gypse.

Dans une propriété privée au lieu-dit du « Bois Roger » on voit encore le haut du cintre de la porte d'entrée murée depuis de longues années.

Les galeries se situaient dans un quadrilatère délimite par le chemin de Dieppe (ex-chemin aux Vaches, aujourd'hui chemin des Bois), le chemin de Beauregard, du Bois-Roger et la route de l'Hautil.

Nous ne possédons aucun autre document que le plan sur lequel, il ne semble pas à en juger, que les travaux d'extraction aient été de longue durée, la longueur des souterrains ne dépassant guère plus d'un kilomètre.

LA CARRIÈRE DES VIGNERONS DU CHEMIN DE L'ARCHE, SURNOMMEE « LA PETITE CAVE »

Vu le peu de renseignements obtenus quant à la précise de sa création, nous la situons parmi les anciennes exploitations de gypse de notre coteau, c'est à-dire vers la fin du XVIIIe siècle. Les particuliers, eurent l'idée d'extraire la pierre à plâtre du versant de notre colline qu'ils connaissaient bien, sont des cultivateurs de Triel, en principe tous vignerons, où pendant leurs périodes creuses de l'année, ils se mirent à tailler le roc comme le firent les premiers carriers de la région.

Avec une sorte de pic à double tête, seul outil utilisé à cette époque pour le creusement du gypse, les vignerons amorcèrent leur entrée en attaquant la pierre à plâtre de bas en haut, de façon à former un arc-boutant.

Pour assurer leur sécurité au fur et à mesure de leur progression dans la masse gypseuse, ils demandèrent à des maçons locaux sans travail, d'y installer par endroit des cintres et autres bois de soutènement nécessaires.

Nos apprentis-carriers utilisaient aussi le coin et la masse. Ils profitaient des failles de la pierre pour la faire éclater, les blocs de gypse ainsi recueillis étaient transportés à dos d'homme dans des hottes spéciales, jusqu'aux fours maçonnés statiques installés près de l'entrée de la carrière.

On y effectuait la cuisson au feu de bois ; le plâtre était ensuite criblé et de bonne qualité. C'est celui que l'on retrouve encore aujourd'hui dans les vieux murs de notre cité, sur lesquels apparaissent des morceaux charbon de bois.

Ce lieu fut longtemps le refuge en hiver des pauvres hères qui profitaient de la chaleur des fours pour venir s'y chauffer.

L'UNION DES CARRIÈRES DE TRIEL ET DE VAUX-SUR-SEINE AU PORT-BARBE A TRIEL-SUR-SEINE

La carrière de « la Mécanique » ou la carrière des « Anes » à Vaux-Sur-Seine


Depuis près de quarante ans est ouverte la carrière à plâtre de « la Mécanique », nous sommes en 1832, par conséquent sa création date de 1792. M. Nicolas Vallery maire de Triel avait racheté cette ancienne exploitation par indivis depuis 1817, avec M. Jeanneret et Mme Boutté, à M. Joseph Maron (1).

Elle alimentait le commerce du plâtre qui se faisait sur tous les ports au bord de la Seine en aval de Triel, jusqu'à Rouen, et particulièrement dans cette dernière ville d'où il était expédié en quantité immense pour l'engrais des terres de la Normandie.

Ce genre de commerce et celui qui se fait pour la construction sont d'une utilité indispensable. M. Vallery qui avait demandé au Préfet de Seine-et-Oise, dans la lettre qu'il lui a adressée le 15 mars 1832, l'ouverture d'une nouvelle exploitation, l'extraction de sa carrière actuelle étant consommée, s'est vu après expertise refuser le droit de percement d'autres galeries dans le secteur des versants des coteaux de Vaux-sur-Seine, pour les raisons suivantes :

1° Le domaine de l'État représentant les dames religieuses de « Cidevant », Abbaye de Poissy, se portant propriétaire de tous les terriers de la montagne de l'Hautil.

2° Les problèmes créés par les fouilles sous des terres labourables en surface qui risquent d'être détruites, le droit de priorité devant être respecté, la demande de M. Valléry sera rejetée.

Après ce rejet, il serait bon que nous mettions un peu d'humour sur le nom de baptême de cette carrière vauxoise ouverte à la fin du XVIIIe siècle et qui a été surnommée la carrière « Aux Anes » .... pourquoi.. et par qui ?.

C'est ainsi que d'après M. Edmond BORIES (Histoire du canton de Meulan), les habitants de Vaux seraient redevables aux habitants de Verneuil du dicton « Les Anes de Vaux » : ce qui n'est pas une appellation malveillante. L’origine remonte à l'époque où le transport de la pierre à plâtre se faisait à dos d'ânes.

Les gens de Verneuil qui travaillaient dans leurs champs voyaient très bien les allées et venues de ces porteurs quand, aux heures de repas, ils regagnaient leurs écuries. Les gens de Verneuil disaient « Les Anes de Vaux » rentrent et ils faisaient de même. C'était pour eux leur cadran solaire.

Et d'ajouter : quant aux habitants de Verneuil pourquoi ce sobriquet. petit-être assez original mais à coup sur peu distingué, de « crapauds » ?

II est dû aux étangs qui parsemaient les terrains de culture et à la position courbée, qu'avaient les paysans à travailler la terre.

(1) Le créateur du lieu-dit « Le Port Maron » à Vaux-sur-Seine, est M. Joseph MARON.

La carrière « Bourdin »


C'est aussi une des plus vieilles exploitations de gypse de Triel-Sur-Seine ouverte à flanc de coteau par le citoyen Bourdin sous le premier Empire. Son entrée se situait rue des Réservoirs à Pissefontaine, proche du château d'eau actuel. Percée en direction nord-est de la forêt, sa première voie d'accès passait sous la sente des Battoirs et l'on pénétrait dans une grande salle d'où partaient plusieurs galeries creusées dans la montagne.

Tout le travail était fait également par la main de l'homme de la même façon qu'aux carrières Bouty et du chemin de l'Arche. L'éclairage encore précaire, était la lampe à huile.

Des ouvriers-carriers y ont laissé leurs empreintes; d'anciens Triellois ayant visité cette exploitation avant son effondrement, remarquèrent encore certaines inscriptions faites avec la pointe d'un couteau ou au charbon de bois. Ils écrivaient leur nom sur des parois de galeries en fin d'exploitation.

Comme chez « Bouty » la production de la pierre à plâtre aura été de courte durée.

La carrière des « Fontenelles »

A la suite du rejet du Préfet de Seine-et-Oise pour l'ouverture d'une nouvelle carrière sur le territoire de Vaux-sur-Seine, M. Valléry, directeur du groupe du Port Barbé a créé en 1832, cette exploitation au lieu-dit « Fontenelles » à Triel-sur-Seine.

Les outils utilisés pour l'extraction de la pierre en dehors du pic à main, améliorèrent le rendement. On employa l'explosif et le transport fut facilité par la voiture à cheval.

Cette carrière a été rachetée par la société du Port Maron vers 1863 qui réalisa la jonction avec Vaux-sur-Seine. Quand cette exploitation a cessé de fonctionner en 1922 on avait remplacé depuis longtemps la lampe à huile par la lampe à essence et ensuite la lampe acétylène.

Nos anciens ont également découvert sur les voûtes des galeries abandonnées des inscriptions comme chez le citoyen Bourdin.

Je vous en cite une particulièrement historique: « Guerre de Crimée. Prise de Sébastopol 1855 »- sans signature. Malgré cette victoire franco-anglaise sur les Russes, il faut se souvenir que trois Triellois y sont morts pou France. (MM. A. Berton - J. Haget et Gros-Henry).

Autre inscription remarquable faite par un ouvrier carrier : une immense tête de Napoléon 1er, coiffée de son bicorne traditionnel, parfaitement dessinée avec un morceau de charbon de bois sur la paroi d'une galerie.

Carrière des Saussaies à Pissefontaine dite « POIDEVIN »

La pierre à plâtre était extraite au début du XIXe siècle en assez grande quantité et nous savons par une expertise du 19 novembre 1842, faite par M. Didier, architecte de la ville de Versailles, que les galeries principales de cette carrière avaient déjà plus de deux kilomètres de longueur. Cette exploitation d'une source inépuisable de gypse, fut rachetée par la société Vallée, Bourdet à la fin du XIXe siècle.

Grossièrement concassés, les blocs de pierre étaient transportés dans des fours à feu de bois, d'où après la cuisson et le sassement, on obtenait un plâtre excellent très recherché non seulement en France, mais surtout à l'étranger. Une fois ensaché, on l'expédiait par péniches à destination de l'Italie, de la Belgique et de l'Angleterre.

Ce produit fini transitait par le port de Rouen, d'où il était acheminé par bateaux.

Avant 1914, les expéditions par wagon en gare de Triel ou sur péniche au Port-au-plâtre, s'effectuaient régulièrement par quatre voitures tirées chacune par deux chevaux de trait sur un parcours bien déterminé et pavé spécialement afin que la chaussée résiste à ces lourds charrois. Le chemin emprunté depuis le carrefour des Saussaies était le suivant: - Grande-Rue de Pissefontaine chemin des Sorts - chemin de la Plâtrière pour se rendre au ponton d'embarquement du Port-au-plâtre. S'il s'agissait d'envoi sur wagon, les voituriers bifurquaient sur leur droite au chemin de Bellevue, où tout de suite on pénétrait sur le quai du « port militaire » des chemins de fer de l'État.

Les noms de rues qui viennent de vous être désignés sont encore inconnus de certains, car nos voies urbaines ont changé plusieurs fois d'appellation après les deux guerres mondiales.

C'est ainsi que le chemin des Sorts est devenu la rue du Lieutenant-Lecomte, le chemin de la Plâtrière a pris le nom de la rue du Pavillon et celui de Bellevue s'est appelé l'avenue Galliéni.

Très proche du ponton d'embarquement (ancien PortBarbé créé par M. Vallérv, maire de Triel, de 1829 à 1833, existait une seconde usine de transformation du gypse dénommée « La Plâtrière », dont le rendement en produit fini était de beaucoup supérieur à celui de Pissefontaine.

Des problèmes importants allaient se poser pour la Société au début de la Première Guerre mondiale. En effet, la majeure partie du personnel de la carrière de Pissefontaine et de la « Plâtrière » de Triel, fut rappelée sous les drapeaux. La société Vallée-Bourdet qui avait pris la succession de la carrière des Saussaies de M. Poidevin, dut avoir recours à de la main-d’œuvre locale non mobilisable et même faire appel à la province. Un certain nombre de Bretons se présentèrent et l'exploitation reprit tant bien que mal son activité.

Il fallut également remplacer les quatre voituriers affectés au transport du plâtre. C'est alors que trois habitantes du hameau se portèrent volontaires pour effectuer cette tâche ardue. Il s'agissait de Mmes CORROUGE, LECOMTE et LEJEUNE.

Les deux premières nommées n'effectuaient les charrois que dans Triel ; par contre Mme LEJEUNE allait livrer le produit fini jusqu'à Paris. En dehors de son travail habituel, elle participait aussi au chargement de la pierre dans les wagonnets.

C'était une rude gaillarde et aussi la seule femme qui assurait régulièrement, et par n'importe quel temps, les transports hors Triel empruntant généralement la route nationale 13, encore grossièrement empierrée à cette époque, elle conduisait ainsi jusqu'à l'Octroi de Poissy, sa voiture lourdement chargée de deux tonnes de plâtre ensaché, tirée en limons par deux puissants chevaux de trait.

Le parcours plat au départ pour atteindre cet Octroi ne lui posait aucun problème ; mais à partir de là, il lui fallait franchir la rude côte pavée à l'entrée de la forêt de Saint-Germain. Aussi, Mme Lejeune devait avoir recours à un troisième cheval-relais, que l'on pouvait se procurer facilement à cette étape.

Arrivé en haut de la montée, ce cheval d'appoint était dételé et rentrait seul par habitude, à son écurie.

De retour à vide de Paris, la voiturière regagnait sans difficulté la carrière de Pisssefontaine.

Cette tâche, hors du commun, ne prit fin qu'à l'armistice de 1918.

A partir de cette date, M. Bourdet continuera seul à diriger son industrie.

Il prit en collaboration un directeur d'exploitation, M. Normandin, habitant à Triel.

M. Bourdet acheta au surplus américain des camions à bandages pleins remplaçant très avantageusement le cheval, et améliorant de ce fait ses transports, l'entretien de son nouveau matériel sera assuré par le garage Bagros.

A la suite de la mort tragique de M. Bourdet, la société du Port-Maron reprendra en main la carrière des Saussaies.

Devenue improductive, en très mauvais état et partiellement inondée, cette exploitation fermera définitivement ses portes au cours de 1943.

La carrière « Parvery-Hamel »

Cette exploitation de gypse a été créée par M. Alexandre Parvery en 1879.

Elle était implantée à droite de la route de l'Hautil, au grand tournant, à mi-chemin entre Triel-Bourg et le hameau de l'Hautil.

C'est M. Paul Hamel, gendre de M. Parvery qui prendra sa succession en 1895, puis ensuite son fils, M. Georges Hamel lui succédera en 1919.

La production du gypse avec une installation bien appropriée était constante ; l'usine fabriquait un plâtre de qualité. Les blocs de pierre étaient acheminés mécaniquement pour être concassés et transportés ensuite au-dessus d'une passerelle accédant aux fours de cuisson, au feu de bois.

Avant 1914, les voituriers assuraient régulièrement les livraisons de plâtre ensaché à la gare de marchandise pour expédition sur wagon ; d'autres envois s'effectuaient par péniche amarrée au Port-à-Plâtre de Triel.

Le travail de cette usine ne consistait pas seulement dans la production de son produit fini.

Elle fabriquait également, pour le bâtiment, des carreaux de plâtre dont certains ont servi au montage de diverses constructions trielloises.

Fin 1918, début 1919, M. Hamel avait acheté aux surplus de guerre allemands, plusieurs camions à bandages pleins qui lui facilitèrent énormément ses transports.

Carrière de « La Bérangère »

Nous avons très peu d'éléments en notre possession pour vous donner une date précise de l'ouverture de cette carrière, mais nous savons seulement qu'elle fit partie du groupe « Union des carrières de Triel et de Vaux du Port-Barbé » - M. Valléry, ancien maire de Triel, en fut sans doute son créateur au cours du XIXe siècle.

M. Vallée, propriétaire de la plâtrière des Saussaies à Pissefontaine, reprendra « La Bérangère » qu'il exploitera jusqu'en 1900. L'extraction de la pierre à plâtre étant arrivée à son terme, M. Barey rachètera la carrière pour y ouvrir une champignonnière.

M. Dubosq, fils, lui succédera en 1922 et M. Albert Duroselle en 1932.

Cette carrière a servi d'abri à la majeure partie de la population trielloise, pendant les tirs d'artillerie américains de fin août 1944.